Les romans de chevalerie ne sont plus d'actualité et pourtant : La Bête n'en semble pas loin dans son story-telling, mais plus particulièrement dans sa cover très heroic fantasy. FEMTOGO et Vilhelm. sont les acteurs d'un récit épique, d'une épopée contre une force gigantesque, une bête féroce ! La pochette du projet est telle la couverture d'un livre, je vais ici vous l'expliquer pour mieux comprendre le projet dans son ensemble ou simplement pour vous en apprendre plus sur son iconographie.
Saint Georges est un personnage du IVe siècle, qui est considéré comme un martyr chrétien (signifiant qu'il est mort pour sa foi en Dieu) et dont le haut fait principal est d'avoir tué un dragon qui menaçait la ville de Silène en Libye.
Le dragon vivait dans un marais des environs, non loin, et terrifiait toute la population. Pour l'empêcher de dévaster la ville, chaque jour, un habitant tiré au sort devait se faire dévorer pour calmer sa colère. C'est alors que la fille du roi, Aja, est désignée. La princesse commence à s'enfoncer dans le marais quand Georges arrive. Après avoir raconté son histoire, Georges promet de la sauver; et lorsque le dragon sort de l'étang, il transperce d'un vigoureux coup de lance d'outre en outre la bête. Son exploit est relaté dans le livre La Légende dorée écrit par Jacques de Voragine au XIIIe siècle qui relate la vie d'environ 150 saints.
Ce dragon était évidemment une représentation du mal, donc ici on a une allégorie de la foi qui triomphe sur le mal.
Iconographiquement, saint Georges est toujours représenté sur un cheval, c'est à ça qu'on le reconnaît sur la pochette du projet, à gauche.
Le deuxième personnage plus juvénile, à droite sur la pochette, est un personnage de la mythologie nordique : Sigurd. Son mythe, très proche du récit de saint Georges, nous est rapporté dans l'Edda poétique (un ensemble de poèmes du XIIIe siècle), dans le poème Fáfnismál.
Fafnir était à la base un nain qui a mis la main sur une immense richesse, son apparence se modifiant suite à cette acquisition. Il a été complètement changé par la haine qui l'habite et l'avarice de conserver sa richesse. À l'image de son démon intérieur, il se transforma en dragon. C'est là que Sigurd intervient, aidé par les Dieux il parvient à tendre une embuscade à Fafnir, et le tue.
Il y a peu de représentations anciennes du mythe de Sigurd et Fafnir, quelques-unes sont sculptées comme ici.
Cependant, on a beaucoup plus de représentations plus contemporaines entre autres dans la peinture de Hendrich, qui a pu être une source d'inspiration pour la cover.
La pochette est une réunion de deux histoires très similaires qui se rejoignent dans l'idée de combattre le mal, d'achever le dragon pour mettre fin à la terreur. Ce sont des personnages d'univers assez différents (christianisme d'un côté et mythologie nordique de l'autre), qui pourtant ont un récit proche permettant de les associer ici. Ces références ne sont pas anodines : elles viennent au contraire compléter le propos de l'artiste.
Quand on regarde de plus près, FEMTOGO a déjà fait des références à Sigurd (aussi appelé Siegfried, son nom germanique) et Fafnir.
Femtogo Siegfried, j'tranche sous Zweihänder
Il y a donc plusieurs indices sur le fait qu'en réalité il se compare à lui. Dans MKII, ça va encore plus loin : il parle du fait qu'il a (en tant que Sigurd) tué Fafnir.
J'ai niqué le Zweihänder, j'ai acéré la lame sur la gueule à Fáfnir
Ces deux citations mentionnent le "Zweihänder" qui peut être traduit par espadon, une épée à deux mains qui pourrait être celle utilisée par Sigurd pour tuer son ennemi.
Dans ses morceaux, il parle souvent aussi de son mal-être, qu'on peut interpréter comme étant la Bête. C'est encore plus probant dans son dernier projet, où c'est presque explicite. C'est là qu'intervient particulièrement le dernier morceau. Tuer la Bête c'est tuer son propre mal intérieur, la voix qui l'empêche d'avancer; il veut la connaître pour l'appréhender encore plus et la tuer, tel Sigurd ou saint Georges.
Donne-moi la taille d'la bête, le poids d'la bête J'ferai en sorte d'avoir assez d'phénobarbital
Les thèmes épiques, souvent relatifs au Moyen Âge, ne sont pas très présents chez les artistes émergents, ce sont des thèmes qu'on retrouve plutôt dans le power metal par exemple. Le power metal est par essence un genre qui traite des histoires de chevaliers, de fantaisie ou encore de mythologie. Le projet de FEMTOGO et Vilhelm. m'a beaucoup rappelé cet esprit, bien que ce ne soit évidemment pas le thème principal; je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce super morceau d'un vieux groupe des années 80.
FEMTOGO personnifie sa douleur dans l'image du dragon, qui est une métaphore du mal et de la haine intérieure si on se fie aux deux histoires. Il se place alors en héros voulant accomplir son devoir de triomphe, pour trouver sa propre paix. Ainsi, la cover iconographiquement chargée de représentations et significations est une clé de compréhension pour le for intérieur de l'artiste, dans sa quête personnelle d'obtention du bonheur.
Patrick Guelpa, Les 100 légendes de la mythologie nordique, Presses Universitaires de France-Humensis, Paris, 2018.
Auguste Marguillier, Saint Georges, H. Laurens, Paris, 1923.
Travail de recherche de Migi : https://www.behance.net/gallery/193738127/LA-BETE, [consulté le 23/03/2024].