Hyper-Rock, histoires de guitares et ordis

19 mars 2025

Depuis quelques années, et suite à l'explosion d'hyperpop que l'on a pu observer depuis 2019 (avec 100gecs, PC music, et en France avec des noms comme snorunt ou le collectif Maison), une nouvelle vague musicale semble lentement s'installer : l'hyper-rock. Mélange de rock et shoegaze, avec des influences marquées électroniques, plus qu'un genre musical l'hyper-rock semble être un mouvement où se retrouvent des artistes de divers horizons. Voyons un peu les origines de ce mouvement musical qui a su nous enchanter, ainsi que sa présence en France.

Origines de l'hyper-rock

La sonorité hyper-rock, c'est des guitares (c'est du rock, après tout), poussées au max, saturées, avec parfois des voix modifiées façon hyper-pop. Plutôt que des voix qui servent d'instrument et se fondent dans la musique, comme en shoegaze, on a tendance à entendre des voix explosives, qui agressent et surprennent. À défaut de se perdre dans une métaphore évolutive, ce n'est pas un genre créé par divergence d'un genre pré-existant, mais plutôt par convergence de plusieurs sonorités venant de branches musicales distinctes.

Musicienne virtuose, on retrouve par exemple Jane Remover comme figure de proue du mouvement; son premier album, frailty, coche toutes les cases de ce dernier. Après s'être amusée avec la daria-core, cet album mixe guitares expérimentales, production insolente et voix grésillantes.

Finn Keane et A. G. Cook, alias Thy Slaughter

Jane Remover incarne bien une première moitié de ce paysage hyper-rock : des artistes venant de genres plus électroniques et hyperpopesques, qui (re-)découvrent la guitare et nous surprennent par son utilisation. On pourrait également nommer aldn, 100gecs, ou Thy Slaughter dans ce groupe. Thy Slaughter est d'ailleurs le duo composé de Finn Keane (anciennement EASYFUN) et A. G. Cook, ce dernier étant sans nul doute un des premiers à faire ce qu'on finira par appeler de l'hyperpop.

Ce virage de la musique électronique vers l'acoustique, on l'avait déjà aussi observé dans l'article sur Wallsocket d'underscores, qui a depuis sorti l'exceptionnel CCTV s'inscrivant parfaitement dans cet arc hyper-rock.

À contrario, la seconde moitié de ce paysage coloré vient justement de la musique rock, plus acoustique. Une autre figure emblématique du mouvement serait le coréen Parannoul, qui nous a impresionné avec To See the Next Part of the Dream. Au cœur de sa musique, un shoegaze avec des guitares poussées au maximum, et une voix électrisante. Il n'hésite pas à collaborer aussi avec d'autres artistes, comme Asian Glow ou le collectif Fax Gang, menant ainsi sa musique vers des teintes plus rock ou rap, respectivement. Dans la même veine, on a depuis quelques années un gros coup de cœur pour feeble little horse, avec un pop rock saturé et des guitares glitchées à l'excès — un excès délicieux.

feeble little horse, par Micah E. Wood

Cette moitié de la famille adoptive de l'hyper-rock semble définitivement venir du shoegaze, glitch rock et emo. Ayant vu le plein potentiel de l'attitude hyper de l'hyperpop, ils s'en inspirent et apportent un vent de fraîcheur dans le monde du rock. On retrouve également dans cette branche acoustique, pour ne citer qu'eux, yeule ou They are Gutting a Body of Water. Douglas Dulgarian, membre de ces derniers, a d'ailleurs participé au projet Census Designated de Jane Remover, qui est un parfait exemple de cette convergence des genres.

En France

Timothée Joly, par Donito C.J

La France n'a pas échappé à ce mouvement hyper-rock; bien qu'il y ait moins d'exemples de ce style, deux artistes que nous aimons particulièrement semblent s'être retrouvés dans ce paysage. Le premier concerné n'est autre que Timothée Joly; son projet ULTRAMONDIALE AMERTUME pataugeait déjà dans ces sonorités, et Les Reflets Argentés est venu enfoncer le clou chromé de son rock alternatif et agressif, qui prend aux tripes. Oxygène Pur reprend parfaitement ce qu'on cherche dans le genre, avec glitchs et saturation à outrance, que l'on retrouvait déjà dans l'outro de Le Diable Pourrait Pleurer.

Une nouvelle itération […] qui fixe désormais sa musique dans un monde de guitares saturées et bodybuildées

La deuxième artiste n'est autre que æ, un des (très nombreux) pseudonymes de Louise, artiste que l'on connaît depuis des années sous le pseudonyme Thanas et qui ne cesse de nous surprendre par ses nouvelles explorations. L'alias æ en particulier semble orienté vers des sonorités plus lofi, parfois alt rock, parfois emo, et définitivement nostalgiques. Certains de ses morceaux flirtent cependant aussi avec ce qu'on essaye de définir comme hyper-rock; par exemple œ u et si tu me cours après nous rappellent volontiers des sonorités qu'on entendrait dans Girl with Fish de feeble little horse.

À l'occasion de cet article, nous avons d'ailleurs eu la chance de discuter avec Louise, qui nous a donné son point de vue sur ce mouvement et sur la question des genres musicaux en général.

Louise, par Lola Kinks

Entrevue avec Louise

ACPN : À l'époque où on t'a connue, tu faisais plutôt de la musique d'ordinateur ; qu'est-ce qui t'a motivée pour ce virage vers l'acoustique qu'on retrouve notamment avec æ récemment ?

Louise : C'est un doux mélange de raisons matérielles et de mes envies. En fait, cet été, mon ordi marchait vraiment pas du tout, et le seul moyen pour que j'arrive vraiment à faire de la musique sans que ça bug, c'est que ça soit juste des pistes audio quoi. Du coup il y avait cette raison matérielle en partie. Aussi, j'avais trop envie de faire de la guitare. Ça fait des années que j'écoute des morceaux avec de la guitare dedans et j'avais envie d'en faire – dès que j'ai eu un peu de sous, j'ai fait le pas. Et au final, c'est pas que de la musique acoustique, il y a un travail à l'ordi derrière mine de rien.

Tu disais que tu écoutais pas mal de musique à base de guitare. Est-ce qu'il y a des artistes en particulier qui t'ont inspirée ?

Franchement, c'est dur cette question, il y a tellement de trucs qui m'inspirent. Mais j'ai pas de nom fixe. En ce moment, j'écoute beaucoup Summer 2000. En vrai, tout ce qu'on met dans la case midwest emo alors que c'en est à peine, j'aime trop. Les derniers projets de quannnic et de Jane Remover, j'aime beaucoup ce qu'il se passe au niveau des tonalités et je pense que je m'en inspire pas mal. Après, moi, ce que je fais, c'est beaucoup plus doux. Ça va un peu moins loin au niveau de comment ça sonne, mais je pense que je m'en inspire.

L'interview est liée à un article sur l'hyper-rock qui est un genre, ou un mouvement, ou juste une sorte de catégorie floue où on retrouve pas mal d'artistes qui font des choses similaires. Donc tu as parlé par exemple de Jane Remover, qui tombe là-dedans vaguement – Summer 2000, vaguement aussi. Est-ce que t'en avais déjà entendu parler avant ?

Tu vois, t'as utilisé deux fois le terme vaguement. Moi quand j'en entend parler, chaque fois c'est pareil, c'est vague. Pour moi, c'est parti du dernier album de 100gecs, c'est vraiment ça l'hyper-rock. Quand tu dis Jane Remover, c'est vaguement de l'hyper-rock, en vrai, je suis un peu d'accord, et en même temps pas trop... c'est dur à dire ! J'ai l'impression que c'est encore plus tabou que de dire hyperpop.

Oui ça avait fait pas mal de vagues, beaucoup de gens étaient pas forcément contents du terme.

Je comprends la logique, parce que par exemple, l'album de 100gecs, c'est des trucs qu'on a jamais entendu et c'est une suite logique de l'évolution de ce qui a été fait dans le rock. Du coup, je vois plus ça comme une suite logique sans pour autant que ça soit forcément "hyper". Quand t'écoutes l'album de 100gecs, l'album de Jane Remover, ça n'a rien à voir.

Louise et sa guitare

Il y a pas mal d'avis assez divisés sur les notions de genre et de micro-genres, avec entre autres les algorithmes. Certains trouvent que ça enferme les artistes dans des cases, d'autres pensent plutôt que c'est utile pour permettre de comparer la musique. T'en penses quoi ?

Déjà, il y a un truc qui est pour moi vrai, c'est que Spotify a énormément joué là-dedans, en créant des playlists hyperpop, etc. pour vendre. Il y a un biais hyper bizarre là dedans. En plus de ça, comme presque tous les genres musicaux, ça découle d'un truc où il y a une histoire dedans, comme l'histoire des personnes LGBT dans l'hyperpop, c'est pas rien et ça a été grave écarté du sujet. Et c'est logique dans un monde capitaliste où Spotify veut vendre.

Quand ça a été enfermé dans un genre comme ça, ça a rendu les choses un peu malsaines, alors que pourtant ça partait d'une bonne intention. Parce que l'hyperpop, au final, ça remonte à hyper longtemps.

Mais après, je ne pense pas que ce soit non plus une mauvaise chose de catégoriser des musiques dans des genres, parce que c'est toujours pratique pour en parler. Je pense que le public devrait faire un peu plus attention à l'artiste, je préférerais qu'on le caractérise avec des adjectifs, plutôt que des genres. Dans mon cas, on pourrait dire que Thanas c'est de l'hyperpop et ça serait vrai ; il y a un moment dans ma vie où j'ai eu envie de faire des prods et j'ai fait un truc qui ressemble à de l'hyperpop et du coup c'en est. Pourtant ça serait vrai que pour un dixième de ma discographie !

À une époque où les choses se font comme ça, où tout se mélange, on devrait d'autant plus faire gaffe à ce que représente un artiste, son énergie, plutôt qu'à son genre musical en particulier, parce que c'est trop dur à définir en fait.

Récemment, on t'a vue sortir beaucoup de sons sur æ. Pour ton avenir, tu comptes aller dans quelle direction ?

En gros, je me réveille le matin et j'ai envie de faire ça. Du coup, je fais æ et je fais des trucs à la guitare. Mais je pense pas que ça va s'éterniser, je suis en changement tout le temps. Je sais pas du tout dans quelle direction je vais aller, mais je vais faire mieux je pense. Pour l'instant, je m'amuse de fou à faire ça, c'est ce que j'ai envie de faire. Peut-être pas pour l'éternité, parce que j'ai envie de voir plus gros... Mais ouais, je sais pas où je vais aller en tout cas.

Super, on a hâte de la suite en tout cas !

Louise, par Parisonline

Louise s'apprête notamment à bientôt sortir une suite à son dernier projet, Birds Just Want To Have Fun, et on a hâte de voir ce que ça va donner. Quoi qu'il en soit, que l'hyper-rock soit un genre, un mouvement, ou juste un amalgame de sonorités, on est ravis de voir des artistes s'en emparer et nous surprendre. Si vous souhaitez en entendre plus, on vous invite à écouter la playlist ci-dessous, qui regroupe des morceaux nous ayant marqués dans ce mouvement. Bonne écoute !

Sources :

Avec Timothée Joly, le rock a de beaux jours devant lui : https://www.lesinrocks.com/musique/avec-timothee-joly-le-rock-a-de-beaux-jours-devant-lui-623529-04-07-2024/, [consulté le 27/02/2025].

Hyper-Rock, Really? : https://eerostakes.substack.com/p/hyper-rock-really, [consulté le 02/03/2025].

The Emergence of Hyper-Rock : https://www.pastemagazine.com/music/scene-report/the-emergence-of-hyper-rock, [consulté le 27/02/2025].